Douai en 1415. La difficile gestion d'une ville.

Publié le par Lionel Breux

Gérer une ville au Moyen Âge ne devait pas être chose facile. Les magistrats étaient confrontés à toutes sortes de problèmes : manque de ressources, problèmes liés à la guerre, aux maladies, etc. Dès que le duc demandait un prêt ou exigeait la construction d’un nouveau bâtiment ou d’une nouvelle enceinte, ils ne pouvaient pas refuser. Ainsi, les magistrats disposaient d’une marge de manœuvre assez restreinte, essayant de satisfaire aussi bien la population que l’état. Par conséquent, ce chapitre va essayer de répondre à diverses problèmes : quel type de relations la ville de Douai entretenait avec les autres villes ? Quelle est sa politique en matière de travaux publics ? Enfin, la ville se préoccupe-t-elle de la salubrité de ses rues ?

 

 

1.    Les champs relationnels.



“ Par « champs relationnels», nous entendons l’aire avec laquelle une ville noue et entretient des contacts réguliers et multiformes. L’idée de régularité paraît à nos yeux essentiels. Elle exclut la prise en compte de toutes relations éphémère ou accidentelle entre deux contrées ou deux cités  ”. Ce travail est indispensable, d’autant plus que l’utilisation des comptabilités de la ville de Douai, très riches sur le sujet, permettent ce genre d’étude. Pourtant, seuls trois rubriques ont été utilisées pour ce travail : “les voies a cheval”, les “voies a pied” et les “frais de courtoisies”. Ce choix est arbitraire mais nécessaire. Car seules les relations politiques ou diplomatiques sont étudiées ici, les relations commerciales étant étudiées dans le prochain chapitre des prix.

Afin de communiquer avec les autres villes, Douai emploie des messagers. La plupart du temps, c’est une personne choisie par la municipalité pour assurer une liaison permanente entre elle, les autres communes et le souverain . Là, il faut différencier deux catégories de messagers : ceux qui s'occupent d'affaires importantes sont généralement accompagnés d'un magistrat, d'un échevin et d'un procureur. Ils envoient des messages ayant attrait aux problèmes financiers ou à la guerre. La deuxième catégorie de messagers s'occupe d'affaires courantes, soit de justice ou d'affaires économiques. Dans les deux cas, les messagers portent le courrier soit à cheval, soit à pied .  Pour chaque voyage à effectuer, on connaît le nom du messager, la destination, la durée du voyage et la somme qu'il a perçue . Il nous est donc facile de dresser la carte des principales villes visitées par les messagers douaisiens. Si l'on compte ensemble "les voies ont pied" et "les voies ont cheval", la ville a envoyé 90 messagers en 1415, 69 en 1417. Par contre, seuls 30 messagers sont venus à Douai en 1415, 21 en 1417. Deux destinations sont fréquemment visitées : Arras et Lille. Pour les autres destinations, les voyages se limitent généralement à un à quatre voyages . Les cas d'Arras et de Lille doivent être ici éclairés.

Entre 1415 et 1417, deux affaires opposent Douai et Arras. La première a pour origine la vente par les arrageois de rentes sur la ville de Douai, d'un montant de 5000 écus. Leur remboursement devait s'effectuer sur cinq ans, soit 1000 écus par an, payable en quatre fois dans l'année. Mais, après le siège de la ville d'Arras par l'armée armagnaque, les magistrats ont des difficultés à rembourser la dette. Régulièrement, des messagers douaisiens partent à Arras réclamer l'argent. Parfois, ils sont obligés d'employer la force . Mais comme les argentiers arrageois ne semblent pas se préoccuper des menaces des douaisiens, les échevins sont obligés de demander l'aide du duc de Bourgogne, qui ne fait rien. Deux ans plus tard, l'affaire n'est toujours pas réglée. Sans cesse, les messagers douaisiens menacent les argentiers arrageois, qui ne remboursent pas. Finalement, le duc de Bourgogne prend deux décisions. Il oblige la ville d'Arras à verser l'intégralité des tonlieux à Douai. Mais il reste encore 400 écus à payer. En novembre, un mandement du duc les oblige à payer le reliquat. En décembre, le paiement est effectué. Les financiers ont dû lever "une certaine quantite de vaisselle d'argent dans les maisons de plusieurs orphevres afin de payer les IIIIc escus ."
La deuxième affaire oppose l'évêché d'Arras à la ville de Douai, au sujet des ponts de Biaches Saint-Vaast. Les deux parties s'accusaient mutuellement de les avoir détruit. L'évêque, à qui appartient les ponts, décident de traduire les magistrats douaisiens en justice à Amiens. C'est à ce moment-là que le duc de Bourgogne intervient. Il envoie à chacun des deux camps une lettre leur rappelant que la guerre a fait de nombreux ravages. En effet, en 1414, les armagnacs avaient fait le siège d'Arras de juillet à septembre. Pour éviter qu'ils franchissent la Scarpe à Biaches, le capitaine Jehan de Saint-Aubin a détruit les ponts. Aussitôt, l'évêque retire sa plainte. En 1417, il revient à la charge à propos d'une nouvelle affaire. Une nouvelle fois, il porte plainte contre l'administration douaisienne car elle n'a pas payé les sept muids de blé de rentes "hiretieres" qu'elle doit payer chaque année. La ville rappelle aux religieux que la guerre a causé de nombreux dégâts dans les champs, et par conséquent elle aimerait payer en argent. L'affaire est clause.

L'autre destination privilégiée des messagers douaisiens est la ville de Lille. Régulièrement, la municipalité envoie des échevins à la chambre des comptes pour négocier avec les autres villes les prêts accordés au duc. Pour qu'il y ait un contact permanent entre les échevins et la municipalité, il faut que les messagers fassent régulièrement le trajet. L'on perçoit ici les effets de la centralisation Bourguignonne corrrespondant à une mutation progressive vers des institutions plus centralisatrices . Ainsi, en novembre 1414, l'échevin Godefroy Catel et le clerc Brulois partent à la chambre des comptes négocier un prêt de 4000 écus accordés au duc de Bourgogne par les châtellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, afin de délivrer ces gens d'armes. En juin 1417, une nouvelle réunion est organisée pour négocier l'assiette de 2000 écus accordés au duc. Après maintes délibérations, les châtellenies ne peuvent accorder que 1500£. Les argentiers lillois voulaient que les villes de Douai et d'Orchies prennent à leur compte 750£, ce qu'elles refusèrent. Finalement, un arrangement est trouvé. Lille prend à sa charge 900£, Douai 480£ et Orchies 120£. Une nouvelle fois, cet argent allait servir à rémunérer les gens d'armes qui pillaient les campagnes en attendant d'être payés. Ainsi, à travers les exemples de Lille et d'Arras, on remarque que les relations entre les différentes villes du Nord ne sont pas aussi bonnes que l'on pourrait le croire, et elles sont même conflictuelles lorsqu'il s'agit d'affaires économiques, financières et judiciaires.

Par contre, pour les affaires politiques, les villes du Nord semblent unir leurs forces face au conflit qui déchire le royaume de France. La période 1410-1420 est en effet marqué par deux événements : sur le plan de la politique intérieure, l'anarchie; sur le plan de la politique extérieure, la reprise du conflit entre les français et les anglais.

A la fin du XIVe siècle, c'est un jeune roi qui règne en France : Charles VI. A la suite d'une chevauchée en Bretagne pour rétablir son autorité, il est pris soudain d'un accès de folie. Désormais incapable de régner seul, ce sont les ducs de Bourgogne et de Berry qui font l'intérim. Dès 1392, ils sont confrontés à la montée en puissance du duc Louis d'Orléans, frère du roi, qui veut s'emparer du pouvoir. A la mort de Philippe le Hardi, en 1404, une lutte sans merci voit le jour entre le nouveau duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et Louis d'Orléans . Le conflit atteint son paroxysme lorsque les bourguignons assassinent le duc d'Orléans à Paris, en novembre 1407. C'est la rupture. Face à un roi incapable de réaliser l'unité de son royaume, les français se déchirent entre deux factions : d'un côté les bourguignons, dirigé par Jean sans Peur; de l'autre côté, les armagnac, dirigé par Charles d'Orléans. Charles VI, tiraillé par les deux parties, fini par se ranger du côté des armagnacs. En mars 1414, le roi, sous l'influence du duc d'Orléans, décide d'attaquer le duc de Bourgogne dans ses principautés . Après s'être emparé de Compiègne, de Soissons et de Bapaume, l'armée royale commence le siège d'Arras en juillet. En quelques semaines, les armagnacs commencent à désespérer car la ville d'Arras est bien défendue. En septembre, le roi décide de lever le siège. Le duc de Bourgogne est soulagé.

Face à cette guerre civile, quelle a été la position des villes de Flandres? Là il faut bien admettre qu'elles mènent une politique assez ambigue. A Douai, la fleur de Lys flotte régulièrement au dessus du beffroi , ce qui montre son attachement au roi. D'un autre côté, elle reste avant tout fidèle au duc de Bourgogne, "nostre tres redoute seigneur", contre les armagnacs. Le 28 juillet 1411, Jean sans Peur autorise les douaisiens à lever 100 couronnes d'or, "pour le fait de la guerre, et adfin de resister a l'entreprinse et malvolence du duc d'Orleans et ses adherens ". Ainsi, bien que les douaisiens avaient un très grand respect pour le roi de France, ils étaient obligés de suivre la politique ducale, souvent contre leur grè.

En politique extérieure, la situation n'est guère plus florissante. En 1413, le roi d'Angleterre Henri IV meurt. Son successeur, le jeune Henri V, est tenté par une aventure en France. Pour mener a bien cette entreprise, il juge qu'il aura besoin de l'alliance bourguignonne . Mais il continue à garder des contacts avec Charles VI. En août 1415, l'armée anglaise débarque à l'embouchure de la Seine, au Chef de Caux. De là, ils partent assièger Harfleur (17 août). Le 22 septembre, la ville capitule. L'hiver arrivant, Henri V décide de prendre ses quartiers d'hiver à Calais. De leur côté, les français ont réuni une armée à Rouen. Le 19 octobre, Henri V franchit la Somme à Voyennes. Le 24, il est à Maisoncelle, près d'Azincourt. Il est stoppé par les français, qui avaient suivi une route parallèle à la sienne. Au matin du 25 octobre, la bataille s'engage. En quelques heures, les français, bien qu'en surnombre, se font massacrer. La plus grande partie de la noblesse française tombe au champs de bataille. Seuls quelques nobles, dont le duc d'Orléans, sont sauvés.

A l'aide des comptabilités urbaines, il nous est possible de suivre jour après jour le déclenchement de la bataille. Car la ville de Douai, qui est régulièrement informée par les messagers des autres villes de la position des anglais, envoye aussi les siens. Au début du mois d'octobre, le sergent Jehan le Bel part à Audenarde rencontrer le procureur Gille de Neuville pour prendre un mandement du roi dans lequel il demande des gens d'armes arballétriers, des archers, des canons et des provisions, pour les envoyer en France afin de reprendre la ville d'Harfleur. A l'annonce de cette nouvelle, les magistrats douaisiens renvoient ce sergent à la rencontre du comte de Charolais, à Lille et à Ypres, pour lui signaler que la ville est incapable de fournir des hommes suite à une forte mortalité. Il ne les écoute pas puisque le 15 octobre, un chevaucheur du comte de Charolais apporte une lettre demandant des arballétriers pour les envoyer en garnison à Hesdin. Le 17, un messager d'Arras vient demander l'aide des douaisiens. Les arrageois ont peur de subir un siège des anglais qui sont à Amiens et demande du blé. Le 20, les anglais on passait la Somme . Le 22 octobre, un messager part à Bapaumes pour connaître le chemin qu'allait emprunter les anglais. Le jeudi 24, un autre messager part à Saint-Omer, à Hesdin et à Lillers pour rencontrer les officiers du comte de Charolais qui avaient l'intention de livrer bataille aux anglais, qui étaient à Rousseauville. Le samedi 26, le sergent Jaque Philon se rend à Béthune pour connaître la vérité sur les nouvelles qui arrivaient de la "desconffiture faitte par les anglois sur aucuns de noz seigneurs" . Le même jour, un héraut de Valenciennes apporte la même nouvelle. Le 27, la ville envoie un autre messager à Arras "pour avoir des nouvelles sur la desconffiture advenue a Rousseauville" . Plus loin, on apprend que "noz tres redoute seigneurs les ducs de Brabant et conte de Nevers estoient trespassez au dit lieu. " Le 2 novembre, un messager de Cambrai apporte un message du comte de Charolais qui demande des gens d'armes arballétriers pour les envoyer à Saint-Omer. Tout comme le Bourgeois de Paris , les messagers n'ont qu'un mot à la bouche lorsqu'ils reviennent des différentes villes de la région : "La desconffiture de Rousseauville". Comme les magistrats douaisiens n'en croyaient pas leurs yeux -persuadés que l'armée française, composée aussi bien d'armagnacs et de bourguignons, allait triompher des anglais- ils envoyaient des messagers dans toute la région pour s'assurer de l'exactitude de la nouvelle. Les douaisiens étaient d'autant plus attristés que les propres frères du duc de Bourgogne étaient tombés au combat. D'ailleurs une messe est célébrée à Saint-Pierre pour le duc de Brabant et le comte de Nevers.

En 1417, la ville semble avoir retrouvé son calme. Mais elle est confrontée aux soldats qui trainent dans les campagnes. Généralement dirigés par un capitaine, ils se lancent dans des opérations de pillages et rançonnent les populations, en attendant de recevoir leur solde. Le duc, qui est incapable de les payer, met à contribution les "bonnes villes". Ces fonds ne suffisent pas puisque les soldats continuent leurs entreprises malveillantes. Les magistrats douaisiens finissent par envoyer un échevin pour qu'il fasse pression sur le duc. Mais Jean sans Peur ne prend pas de décisions à long terme, règlant définitivement le problème des gens d'armes. Il demande juste aux villes concernées de les recenser. Ces hommes traînant à la périphérie de Douai causaient de nombreux problèmes à la population. A chaque fois qu'ils voulaient quitter l'enceinte, ils devaient se faire accompagner par un ou deux sergents , sinon ils pouvaient tomber sur des bandes armées et se faire rançonner.

A côté des affaires purement politique, les messagers s'occupent essentiellement d'affaires mineurs, de justice ou de ventes de rentes. Régulièrement, la ville envoie un ou deux magistrats accompagnés d'un clerc vendre des rentes à Cambrai, Tournai, Valenciennes et Lille. Ils peuvent aussi chercher les mandements de l'administration ducale. En février 1415, le sergent Simon le Wintre part à Tournai pour obtenir les nouveaux états et ordonnances sur le hareng et le poisson de mer. D'autres, enfin, s'occupent d'affaires judiciaires.

Douai est aussi réceptrice de messages. Elle reçoit souvent des messagers ou des hérauts qui s'occupent d'affaires judiciaires. Mais la plupart du temps, ils viennent annoncer les joutes  (à Valenciennes et Arras), et les "franque feste " (Ypres, Bruges, Armentières et Lille) qui vont se dérouler dans l'année.

A ce stade, il semble nécessaire de mesurer l'influence exercée par la cité en Flandre et dans les Pays-Bas . Si l'on compare le nombre de messagers douaisiens au nombre de messagers extérieurs, il semble évident que la ville de Douai joue un rôle mineur sur l'échiquier régional. D'autant plus que Jean sans Peur se déplace peu à Douai, puisqu'il n'a pas d'hôtel particulier comme à Lille, Hesdin ou Gand. Pourtant, la commune occupe une position centrale entre plusieurs grandes villes : Lille,  Tournai, Valenciennes, Cambrai et  Arras. Elle n'a pas cherché à bénéficier de cette avantage, préfèrant jouer les seconds rôles.


2. Les travaux publics.



« Batir est œuvre de civilisation », rappelle J.P Sosson dans son livre sur Bruges . Avec le textile, le bâtiment est l’une des grandes entreprises du Moyen Âge. Les villes consacrent des sommes considérables à l’amélioration de leurs infrastructures. Douai n’y échappe pas. Entre 1410 et 1420, la ville se pare d’une troisième enceinte, à la demande du duc. En juin 1414, un mandement ducal ordonne la construction ou la rénovation de remparts  . Cette tâche requiert des matériaux de toutes sortes, un minimum d’organisation, des hommes . Trois points vont donc être développés. Quels sont les principaux travaux effectués à Douai ? Quels types de matériaux sont utilisés ? Comment sont planifiés les travaux ?

Chaque année, divers travaux sont effectués à Douai : construction et rénovations de maisons, de ponts, de tours. Mais depuis 1414, seuls les travaux pour la construction de l’enceinte mobilise l’essentielle de la main-d’œuvre. D’autres travaux sont aussi effectués, mais ils n’ont pas la même ampleur.

Si l’on se fie à l’ordonnance ducale, la construction de la troisième enceinte n’a pas débuté avant la fin de l’année 1414. En 1415, les agents municipaux ne se lancent pas dans de grands travaux. Ils se borgnent essentiellement dans la  rénovation des tours, des ponts, des portes et  de la muraille. Afin de faciliter l’accès de la ville, ils refont les principaux ponts (ponts des portes Vacqueresche et d’Esquerchin ), ainsi que les principales chaussées (Esquerchin). Certaines parties de l’enceinte sont totalement rénovées. Les murs sont détruits pour être refaits à neufs. On nettoie les fossées pour que nul ne puisse emprunter un chemin autre que celui où il sera contrôlé et il paiera les taxes pour les grains . De nombreux travaux de rénovations sont aussi effectués à la forteresse. En 1417, les travaux prennent une autre tournure. La ville à entamer la construction d’un nouvel édifice, le « dodasne ». Ce pont a mobilisé une importante main-d’œuvre durant de longs mois. Les fondations ont été creusées par des « fossiers », les maçons, après avoir taillé les pierres pour les fondations, ont édifié l’ouvrage. Les ponts, les portes  et les fossées sont aussi rénovés.

A côté des travaux effectués pour la construction de la nouvelle enceinte, la ville est obligée d’assurer la rénovation et la construction de bâtiments. En 1415, la ville met en chantier la construction d’une pièce, à l’intérieur de la halle, pour le siège des six hommes. Là, différents corps de métiers font leur apparition : maçon, charpentier, plaqueur, manœuvres. La même année, le receveur s’attarde sur la fabrication de la cloche du beffroi. Les  travaux ont duré de juillet à septembre 1415. Le métal utilisé pour la fabrication d’une cloche est le bronze . A la fin du mois de juin, les six hommes achètent à un marchand de Tournai, Miquel de Gand, 3300 livres de cuivre au poids de la ville. Un voiturier de Tournai transporte sur sa charrette le métal vers Douai. A la même période, ils achètent 150£ d’étain à Cambrai. Pendant ce temps, des ouvriers contruisent une fosse de 12 pieds de long et de 10 pieds de profondeur, où l’on va installer le moule. Pour fabriquer une cloche, on commence par réaliser son tracé. On constitue ensuite le moule, se composant du noyau , de la fausse cloche et de la chape . Durant toute une nuit, des souffleurs sont chargés de surveiller la fonte du métal. On coule ensuite le métal en fusion dans l’espace laissé libre par la fausse cloche, une fois celle-ci enlevée. Ce travail a été effectué par Gille de Montigni, fondeur de cloche, demeurant à Laon. Une fois réalisée, la cloche est installée au beffroi. En 1417, en dehors de la construction de la nouvelle enceinte, les seuls travaux sont effectués à Vittry. Des ouvriers refont le toit du moulin , qui s’est écroulé à la suite d’un orage.

Pour ces travaux, la ville dispose d’une main-d’œuvre importante. Chaque année, une soixantaine d’ouvriers travaillent sur les chantiers. Mais la plupart d’entre eux sont des ouvriers peu qualifiés, les manœuvres. La construction nécessite plusieurs corps de métiers : les maçons, les briqueteurs qui fabriquent les briques, les plaquieurs qui recouvrent les murs d’argile, les cauchieurs, qui les enduisent de chaux . On trouve aussi des fossiers et des charpentiers. La plupart de ces artisans et de ces ouvriers viennent du douaisis ; d’autres, par contre, viennent de Lille (pour la construction de l’enceinte, notamment), et de Laon (le fondeur de cloche vient effectivement de cette ville).

Après avoir énuméré les travaux effectués, il faut maintenant parler des matériaux. Là, il faut faire une distinction entre le bois, les métaux, la pierre et les matériaux à base de terre.
Le bois est un matériau prédominant. Il figure dans la plupart des ouvrages. Les chefs de chantier douaisiens utilisaient toujours le même bois, le frêne. Il fournit un bois dur, blanc jaunâtre, à filtres droits et tenaces. C’est un bois très élastique. La plupart du temps, on l’emploie pour la fabrication des montants d’échelles et des manches d’outils. Les charpentiers douaisiens s’en servaient pour toutes sortes d’applications : aux encadrements de fenêtres, sur les toitures, et pour la structure des ponts. Le bois a cependant un ennemi : le feu. En quelques minutes, il pouvait ravager plusieurs maisons d’un quartier, voir une ville entière. Pour éteindre les feux, la population s’organisait tant bien que mal : toutes personnes consentantes pouvaient apporter sa contribution. En échange, la ville leur accordait une prime  .
Les métaux semblent peu employés sur les chantiers. Les comptes mentionnent l’utilisation de l’étain de Cornouailles. Les charpentiers recourent à différentes sortes de clous pour clouer les planches : clous picards, d’escailles, etc. Les plombiers emploient pour leur soudure du fil de laiton. Les métaux utilisés pour la réalisation de la cloche sont le cuivre et l’étain, qui donnent le bronze.
Par contre, les matériaux à base de terre sont plus fréquemment employés. La brique est utilisée en grandes quantités par les maçons douaisiens. La ville loue la briqueterie à Polle le briqueteur, qui doit, en échange, fournir 6000 briques. Pour la fabrication de la brique, il dispose du matériau (l’argile) et du combustible (la tourbe) . A côté de la brique, la ville se sert aussi d’autres matériaux à base de terre. Il y a tout d’abord les tuiles ou « tieules », pour recouvrir les toits des maisons. Puis vient un matériau indispensable, la chaux : elle entre dans la composition des mortiers.
Enfin, la ville se sert de pierres. Mais les comptabilités sont peu précises quant à leur utilisation. Certaines sont coulées dans le mortier, d’autres sont employés pour la fondation des murs, après avoir été taillées.

Après avoir étudié les matériaux utilisés par les artisans douaisiens, il est nécessaire désormais de voir leur provenance. Chercher à répondre à cette question c’est soulever un problème de tailles : on ne sait quasiment rien sur la provenance des matériaux. Il faut bien admettre que sur cette question on est dans le flou complet. Pour le bois, il n’y a pas de problèmes puisqu’il vient de la forêt de Marchiennes. Le bronze vient de Tournai, l’argile d’Ostricourt. Pour le reste, on ne sait rien. Cependant, il semble que la plupart des matériaux viennent du douaisis.

Pour l’organisation des travaux, les comptabilités sont nettement plus précises. On connaît leur durée, les personnes qui y participent et les matériaux.

Généralement, les travaux étaient étalés sur quinze jours : « Pour ouvrages et estoffes mises a le forteresse et edeffices de le ville par le temps de XV jours finans le Xe jours de juillet IIIIc XVII.  » Mais, pour certains d’entre eux, ils pouvaient durer plusieurs semaines. Lorsque la ville prévoyait de réaliser un ouvrage, elle contactait un maître artisan, chargé de conduire les travaux. La plupart du temps, ils n’étaient pas pensionnaire de la ville, sauf pour le charpentier Nicaise Turquet. Par exemple, si la ville décide de construire un nouveau mur, elle fait appel à un artisan maçon qui va prendre la direction du chantier. Celui-ci va commander les matériaux et choisir les ouvriers dont il aura besoin. Un maître artisan était habituellement assisté de deux ou trois adjoints, eux-mêmes maçons, chargés de l’épauler dans ces diverses taches. Les voituriers acheminaient les matériaux sur les chantiers, qui étaient réceptionnés par des manœuvres.

A ce stade d’étude, il faut faire la distinction entre une main d’œuvre dite « qualifiée » et une main d’œuvre dite « non qualifiée ». Dans le chapitre des ouvrages, le receveur fait la différence entre ces deux catégories.
 Le maître artisan et ses adjoints étaient spécialisés dans un domaine bien précis. Ils étaient  maçon, charpentier, soudeur, etc. Dans leur domaine, c’était de véritables artistes, et la commune les payaient comme tel . Pour devenir maître artisan, il fallait avoir l’outillage nécessaire et disposer des locaux adéquats. Mais on devait aussi « acheter » le métier à la corporation . Le maître artisan, que l’on peut aussi appeler «patron », était assisté d’un valet , qui pouvait être l’un de ses fils, ou un apprenti, venu apprendre le métier. Ce dernier vivait avec le maître, et leurs rapports étaient loin d’être idylliques . A Douai, le valet est généralement le frère ou le fils du maître. De génération en génération, ils se transmettaient le métier. On retrouve ainsi de véritables dynasties : les Turquet chez les charpentiers, les Lestailleur chez les couvreurs de tuiles, etc.
A côté de la main d’œuvre qualifiée, la ville dispose de travailleurs non qualifiés, les manœuvres. R.Fossier  nous les décrit : « Les conditions du travail dans les métiers ne favorisaient d’ailleurs qu’une minorité : l’embauche s’effectue le plus souvent pour une courte période, et rarement sur un autre contrat qu’oral entre le maître et le compagnon ; dans certains métiers, et çà où l’abondance de la main d’œuvre encourageait l’employeur aux abus, cet engagement pouvait être à la journée. » A Douai, les manœuvres représentent la grande majorité des travailleurs. La plupart du temps, ce sont des ouvriers sans aucunes qualifications, passant de chantier à chantier. Payés à la journée, les manœuvres effectuent toutes sortes de travaux : ils peuvent être à la fois porteurs, maçon, fossier, cauchieur, etc, travaillant toujours sous la responsabilité d’un maître. Bien qu’ils représentent près des deux tiers des effectifs douaisiens, il semble y avoir une  pénurie de main d’œuvre non qualifiée. De temps à autre, la ville est obligée d’employer des ouvriers qualifiés pour effectuer des taches secondaires, de transport ou autres, payés aux tarifs des manœuvres. Dans le compte de 1417 , Nicaise Turquet, bien que maître charpentier et pensionnaire de la ville, effectue un travail de manœuvre en transportant du bois de frêne pour la ville. Pour cela, il touche 3s.

Lorsqu’un chantier était fini, la ville envoyait des agents municipaux pour vérifier le travail. Dans certains cas, elle pouvait même faire appel à des artisans venant des villes voisines. Ainsi, en 1415, la municipalité a employé Colart Mailleser, maçon, pour qu’il réalise les pans et les tourelles du beffroi. Pour ce travail, il doit recevoir 1200£. Comme les agents municipaux n’étaient pas satisfaits du travail accomplis, ils demandent l’avis de maçons de Lille et de Tournai, qui confirment. Par conséquent, ils défalquent 15£ de la somme initialement prévue . L’exemple de la fabrication de la cloche est tout aussi significatif. Au moment où Gilles de Montigny est chargé de fondre le métal de la cloche, un agent municipal est chargé d’en vérifier la qualité.


Au terme de cette étude sur les travaux publics, quelques conclusions peuvent être exposées. Malgré la guerre, la ville continue la construction et la rénovation d’édifices à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville. Mais la plupart de ces travaux concernent la construction d’une nouvelle enceinte, nécessaire pour la protection de la ville contre les anglais puis contre les armagnacs. Ils ont mobilisé une main d’œuvre importante, aussi bien qualifiée que non qualifiée. Outre les travaux publics, la commune se préoccupe aussi de la salubrité de la ville, en mettant en place une politique de gestion des déchets.



3. L’écologie urbaine.



Parler d’écologie pour le Moyen Âge peut paraître anachronique. Les contemporains nous ont donné une image négative des villes, insalubres et  sources de toutes sortes de maladies. Comme le rappelle J.P Leguay , « la saleté des rues médiévales n’est pas un mythe ». Une embelli apparaît au XIVe et XVe siècle, lorsque les agents communaux décident de mettre en place une politique de gestion des déchets. Seules les bonnes villes prirent ce genre de décision. Cependant, il ne faut pas imaginer que du jour au lendemain, les villes sont devenues saines. La construction d’une nouvelle enceinte n’a pas favorisé ce type de politique. B.Chevalier  a noté qu’en «s’enfermant derrière un mur, la ville s’isole dans l’ordure. » Par conséquent, peut-on appliquer à Douai l’expression qu’a utilisé pour Calais A.Derville  lorsqu’il parle des chaussées : « Des égouts à ciel ouvert ». Ou les magistrats douaisiens ont-ils pris des mesures d’assainissements pour rendre salubre les rues de la ville ?

La documentation sur le sujet est assez faible. Mais une lecture attentive des comptabilités permet de déceler certains aspects de la politique de gestion des déchets de la ville. Certes, il n’y a aucun chapitre qui s’intitule « pollution médiévale », ou « gestion des fiens ». Cependant, deux chapitres nous apportent de précieuses informations sur le sujet : « les ouvrages », et « les frais de courtoisie ». Le premier est d’une importance capitale. A la fin de chaque travaux, la ville emploie des voituriers chargés d’acheminer à l’extérieur de l’enceinte les ordures ainsi que les « fiens ». Le second montre que la commune paye des agents, les « eswardeurs », qui s’occupent d’enlever les animaux morts traînant dans la ville et dans sa périphérie. En dehors de ces deux chapitres, les comptabilités restent muettes.

Les rues médiévales sont réputées pour leur saleté et leurs odeurs nauséabondes. Les immondices s’entassent à chaque coin de rue. Les eaux usées traversent la rigole centrale, provoquant une odeur insupportable. Les maladies peuvent ainsi se propager plus rapidement. J.P Leguay  montre que se sont des conditions naturelles défavorables qui engendrent l’insalubrité. « Dans les villes de plaines, ou dans les quartiers bas, l’absence de dénivellation, associé à un sol argilo-sableux, humidifié par les averses et la présence d’une nappe phréatique toute proche, amène la stagnation des eaux, bloque l’évacuation normale des rares égouts vers une rivière, crée tout naturellement le bourbier. » Il intègre certains quartiers de Douai dans ce cas de figure.

Comment la ville gérait ses déchets ? Chaque fête, chaque marché, ou tout autre événement, avaient pour conséquence d’apporter des déchets de tout genre : ordure, « fiens », etc.
Les « fiens » semblent être la principale préoccupation des agents municipaux. Régulièrement, des voiturier étaient chargés de les collecter :

« A Adam Brisset [carton] pour XV voitures de fiens, teraux et ordures qui estoit es basses halles XIId le voiture.  »

« A Adam Brisset [carton] pour son sallere d’avoir transporte les fiens qui estoient au marquiet au ble a cause des joustes qui ont dure III jours Cs.  »

« Pour le salere de plusieurs personnes de faire mener hors de la ville a leurs cars et quevaux les fiens estans en place dicelle ville fais par les gens d’armes en l’este mil IIIIc XIIII et yceux fais mener aux camps et au rivage.  »

Le fumier est  généralement stocké en dehors de la ville. Les voituriers le transportent en aval de la rivière. Le chapitre des « ouvrages » fait apparaître que les voituriers viennent chercher les « fiens » chaque quinzaine. En effet, nous avons vu précédemment que les travaux étaient généralement étalés sur quinze jours. Lorsqu’ils étaient terminés, les voituriers entraient en scène et chargeaient les ordures et le fumier. D’autres « fiens » étaient ramassés au moment des fêtes et des marchés au blé. Régulièrement, des joutes étaient organisées à Douai, réunissant un nombre important de chevaux. Quand elles étaient terminées, des agents municipaux étaient chargés du nettoyage de la place.
En plus des fiens, ils s’occupent aussi des ordures ménagères ainsi que des terreaux. Il n’y a pas ici de fréquences de ramassage, comme pour les « fiens » :

« Et pour XIIII voitures de teraux et d’ordures estans empres le porte du marquiet au ble et ycelle mene devant le halle XXXIIs.  »

Les ordures ménagères sont stockées au niveau du beffroi et de la halle. La ville cherchait ainsi à canaliser le stockage des ordures en deux endroits fixes. Il faut signaler que l’on ne trouve aucune mention du receveur sur un quelconque  stockage sauvage. Mais peut-on avancer l’idée d’une collecte organisée des ordures ménagères ? La réponse est claire et sans équivoque : non. La ville ne dispose pas d’une structure financière suffisamment stable pour mettre en place ce genre de structure. On aurait pu parler de collecte organisée s’il y avait eut une fréquence des ramassages, mais cela n’est pas le cas, sauf pour les « fiens ».

En dehors de la gestion des ordures ménagères, la municipalité finance le nettoyage des rues, ou plutôt des principaux axes. Ainsi, toutes les principales voient d’entrée de la ville sont régulièrement nettoyés :

« A Colard Dauchy pour le nettoyage de le voye de le porte Morel pour ce XXXs par an.  »

Les différents édifices qui composent la halle sont aussi nettoyés. Deux personnes sont aussi payées pour nettoyer la place du rivage. Ainsi, à travers ces quelques exemples, on remarque que la ville se préoccupe de la gestion des ordures ménagères ainsi que du nettoyage de ces principales voies. Lorsqu’elle recevait une personnalité, la ville paye même des personnes pour nettoyer les pots où l’on offrait le vin.

Enfin, pour éviter tout risque d’épidémies, des agents municipaux, les « eswardeurs », sont chargés de ramasser les animaux morts sur la chaussée :

« A Lotard Cardon, Huart Lesot et leurs compaignons eswardeurs de l’eaue pour avoir tire hors du cours de l’eaue un cheval mort et ycellui fait mener aux camps pour ceux accordent XVIs  ».

« A Lotard Cardon, huart Lesot et leurs comapignons eswardeurs de l’eaue pour avoir tire hors de la riviere de la dite ville et fait mener aux camps est assavoir le carogne d’un queval mort estans au couran de le riviere derriere les freres mineurs et le carogne d’une vaque morte tiree hors des ventelles devant Saint-Nicolas le XVe jour de septembre l’an mil IIIIc XIII. XXXIIs.  »

Ils arrivent aussi aux eswardeurs de sortir de la rivière des hommes retrouvés noyés :
« A Robert Phillon, Ricard Craquelin et Jehan Regnard pour leur salaire d’avoir tire hors du courant de le riviere entre le pont de pierre et le molin un homme qui y fut trouve noyez et prestement menez et enfouy  pour ce XXVs.  »

Les « eswardeurs de l’eaue », comme on les nomme dans les comptabilités, on donc une fonction bien précise. Ces agents municipaux sont en effet chargés du nettoyage et du drainage de la rivière. Mais par nettoyage, on entend aussi l’enlévement des animaux morts et des personnes noyées. 

Un dernier point reste à développer : le cas des animaux domestiques. Pour la période étudiée, les chiens n’occupaient pas la même place qu’aujourd’hui. J.P Leguay  nous explique que les citadins excédés se livrent certains jours à des massacres de chiens et chats errants, qui étaient accusés de propager les maladies. Ainsi, de manière épisodique, la ville employait des « tuekiens » pour éviter tout risque de propagation des épidémies. Contrairement aux autres professions, ils n’étaient pas payés à la journée, mais au nombre de chiens tués. Ils travaillaient en groupe de cinq à six personnes, afin d’obtenir de meilleurs résultats. En 1415, 303 chiens ont été tués, contre 265 en 1417. Par contre, les comptabilités ne font pas mission des chats.

Douai, une ville propre ? La réponse est très difficile. Il est certain que la ville se préoccupe de son environnement. Des agents municipaux sont chargés du nettoyages des rues ; d’autres s’occupent du ramassage des ordures ménagères. Mais, la plupart de ces taches sont ponctuelles, car la ville n’a pas mis en place de réelle structure.

 
A travers cette étude, nous avons pu remarquer que, malgré la guerre, la ville continuait à nouer des contacts avec les autres villes de la région, par le biais de messagers, assurait la construction d’une nouvelle enceinte et la rénovation de certains bâtiments, et mettait en place un ramassage des ordures et des fumiers, ainsi que le nettoyage de certaines rues. Mais la ville est freinée dans ses actions par le coût financier de ces diverses interventions. Nous en parlerons dans le chapitre suivant.

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