La situation de Douai au début du XVe siècle

Publié le par Lionel Breux

Douai, ville créée au début du Xe siècle, s’est rapidement développée pour devenir au XIIIe siècle l’une des six « Bonnes villes » de Flandre. Mais avant de devenir une « Bonne ville », Douai a dû être reconnue comme telle par ses voisines. Une étude géographique du douaisis s’impose avant d’étudier le concept de « Bonne ville ».


1. La géographie du Douaisis.


Plusieurs facteurs montrent le développement de Douai : économique (développement de la draperie), politique (apparition d’une nouvelle région, la Flandre), mais surtout géographique. Deux éléments géographiques expliquent le développement urbain de douai : sa situation et son site.

 

 

On remarque que Douai, Arras, Cambrai forment un triangle dont le sommet est Douai. Alors qu’à l’époque romaine, les villes du couloir rhodanien étaient éloignées d’une soixantaine de kilomètres (distance parcourue par un cavalier en une journée) seulement trente kilomètres séparent Douai de Cambrai et d’Arras. L’hypothèse traditionnelle  montre  qu’au moment des invasions germaniques, les populations quittent les villes pour se réfugier dans les campagnes. P.Demolon  a estimé l’implantation des premiers habitants de Douai au début du VIe siècle. C’est une population qui a certainement quitté les anciennes villes romaines (Arras, Bavai, Boulogne), cibles faciles pour des envahisseurs germains, pour s’installer dans une zone marécageuse, sur le site de Douai, à l’écart de toutes populations et des grands axes de communication. Constituant l’extrémité de l’Ostrevent, Douai va très vite se développer. Les limites de cette région en sont : au sud la Sensée, à l’ouest la vallée de l’Escrebieux et à l’est l’Escaut En revanche, au nord, il n’y a aucune frontière naturelle. Seule la Pévèle fait la séparation.


Le choix du site de Douai n’était pas le fruit du hasard. M.Rouche  montre que « c’est la position géographique qui a déterminé la première implantation humaine ». Le site de Douai n’était pourtant pas très attrayant. C’était en effet une zone marécageuse, peu propice au développement urbain. Il a fallu du temps et beaucoup de travail pour y construire les premières habitations. D’énormes quantités de troncs d’arbres ont donc été nécessaires pour faire les fondations.  Pour réaliser ce travail, la matière première était abondante. De vastes forêts s’étendaient au nord-est et au sud-ouest de Douai. Encore aujourd’hui, le nom de certaines villes, telle Leforest, est révélateur de cette abondance. La ville s’est étendue au XI e et XII e siècles sur la rive droite de la Scarpe en direction d’un carrefour important : celui des routes Cambrai Lille et Valenciennes Lens . Ce croisement a suscité un nouveau centre d’activité avec l’établissement d’un vaste marché au blé à l’emplacement de l’actuel place d’armes.

On peut remarquer aussi l’importance du réseau hydrographique. La rivière va être le facteur déterminant du développement de Douai. George Espinas  insiste sur l’importance de la rivière pour l’économie et le développement de la ville : « Douai, une ville née de la Scarpe ». Il faut cependant rappeler que la situation hydrographique au Xe siècle était bien différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Seuls quelques ruisseaux venant des alentours de Brebières coulaient à Douai. La situation change au Xe siècle avec le détournement de la Satis, probablement sous le comte Arnoul Ier, et de la rivière d’Arleux qui lui fournit plus de la moitié de son débit à Douai.  Pour réaliser ces deux détournements, deux percements ont été nécessaires : le premier s’est effectué à Vitry ; le second à Arleux.  C’est après de longs travaux, qui ont duré du IXe au XIIIe siècle et ont nécessité une main-d’œuvre importante, que se dessine peu à peu le cours de la rivière. Prenant sa source à l’ouest d’Arras, la Scarpe entre à Douai par trois portes, puis rejoint l’Escaut à Mortagne, après avoir parcouru près de 80 kilomètres. Les conséquences de ces détournements sont multiples : ils ont permis l’alimentation en eau des 14 moulins à l’intérieur de l’enceinte, auxquels il faut ajouter tous ceux qu’on a installés en amont de la ville, entre Vitry et Douai ; enfin, il a facilité aux villes de Flandre l’accès aux greniers d’Artois et d’Ostrevent.   La Scarpe joua donc un rôle essentiel dans le développement de la ville. Au bout de trois siècles d’existence, Douai atteignit le rang d’une des six grandes villes de Flandres et devient l’une des grandes villes drapières. Lorsque l’industrie drapière s’est effondrée au XIVe siècle, la ville s’est tournée vers le commerce des céréales. Les grains, qui venaient des régions environnantes, étaient acheminés par bateaux vers les grandes villes flamandes.  La rivière a donc joué un rôle fondamental dans le développement économique du douaisis. Lorsque l'industrie drapière entre en crise au début du XIVe siècle, la municipalité utilise la Scarpe pour reconvertir son économie vers le commerce de transit "international" des céréales. Afin d'accueillir en son port des navires de forts tonnages, la municipalité a été contrainte de procéder à des aménagements. Certains employés municipaux étaient chargés du nettoyage de la rivière; d'autres s'occupaient des opérations de drainages. Car l'une des principales craintes de la ville étaient l'ensablement des navires. Afin d'éviter ce genre de désagréments, elle tente de contrôler, en amont comme en aval, la navigabilité du fleuve. Cette politique peut se traduire par le rachat de rivières (La ville a ainsi racheté la rivière de Vitry), ou par des accords avec les villages bordant la rivière.  Ainsi, en moins de trois siècles, la Scarpe est devenue autant un enjeu économique que politique.

L'étude géographique du douaisis serait incomplète sans une estimation de la population au début du XVe siècle. L'un des seuls chiffres que nous possédons pour cette période est celui d'Alain Derville  qui estime la population douaisienne entre  10000 et 15000 habitants. Ce chiffre semble justifier puisqu' après la Peste et la guerre, la ville s'est vidée d'une partie de sa population. Les comptes peuvent nous donner une idée sur la situation démographique de la ville. Les magistrats s’inquiètent du fort taux de mortalité à l’intérieur de l’enceinte. Maître Gille se rend plusieurs fois à Ypres rencontrer le conte de Charolais pour lui faire part de la forte diminution de la population depuis quelques temps . Les causes de cette forte mortalité ne sont pas clairement explicitées dans les comptabilités, mais la guerre qui sévit dans la région et la Peste Noire en sont certainement les causes.

A la lecture des comptabilités, quelle image pouvons nous avoir de la ville de Douai ? Il semble important de souligner que Douai est une ville bien aérée, qui, dès le XII e siècle, sort de ses murs pour pouvoir acquérir de nouveaux espaces.  Ainsi, des espaces verts peuvent cohabiter avec des îlots de peuplement beaucoup plus vastes (Douayeul) , situés essentiellement le long de la Scarpe. A la périphérie de la ville, on trouve les différents hôpitaux. Les comptabilités en mentionnent cinq : hôpital Saint-Jean des trouvés, hôpital des femmes gisant, hôpital de Saint-Ladre, hôpital Saint-Samson et l’hôpital des malades. Certains étaient installés sur les ponts, comme l’hôpital Saint-Jean des trouvés. Ils n’avaient pour objectifs des soigner les malades mais servaient plutôt d’assistance publique.
Pour entrer dans la ville de Douai, il fallait franchir l’une des sept portes. Lorsqu’un étranger venait pour la première fois, il découvrait une cité en plein chantier. La période 1410-1420 est marquée par la construction d’une troisième enceinte, imposée par le duc de Bourgogne, afin de se prémunir d’une attaque armagnaque et anglaise. Les artisans douaisiens tentèrent de rénover un maximum de bâtiments et entamèrent la construction de nouveaux édifices : portes, enceintes, dos d’ânes.
A l’intérieur de l’enceinte, notre étranger peut se rendre sur la place au marché au blé, qui se trouve à l’actuelle place d’armes. Cette place, qui devait être très vivante, voyait converger les marchands venant de tous les Pays-Bas Bourguignons .

Ainsi, même si la cité douaisienne semble en déclin, tant économique que démographique, elle garde malgré tout son charme d’antan.



2. Douai, une "Bonne ville ?"



Avant de commencer l'étude de "Douai, une Bonne ville", il semble judicieux de définir le concept même de "Bonnes villes". Cette question, mainte fois traitée par les historiens, reste malgré tout très complexe.

D'après J.Dhont , elles sont "des puissances capables de s'imposer comme telles par leur être même comme l'un des principaux "états" dans l'état. Cette puissance politique ne résulte d'aucune disposition institutionnelle, d'aucun statut octroyé, mais de leur autonomie militaire et de sa position centrale dans le réseau des informations et des pouvoirs, tel qu'il se constitue dans un état en formation. C'est par l'état dont elle est participante, par la force qu'elle détient, par la fonction de capitale qu'elle exerce, que la Bonne ville se présente comme un modèle à l'égard de toutes les villes "champêtres" qui l'entourent." Pour simplifier, il faut surtout retenir qu'une Bonne ville a avant tout autre chose un rôle défensif. C'est donc une agglomération fortifiée . Elle fournit aussi à l'état des hommes en armes, pour combattre dans l'armée ducale. Ensuite la ville doit avoir un intérêt pour le duc, tant financier que politique. Elle dispose ainsi d'une administration propre, qui est cependant soumise au contrôle de l'administration ducale.

Pour gérer ses propres affaires, la ville a du acquérir un certain degré d'autonomie en obtenant une charte communale . Sa première est antérieure à 1188 . C'est une période où le roi de France et le comte de Flandre se disputent la ville. La charte communale, renouvelée et précisée en 1228 par Ferrand et Jeanne de Flandre, jette les bases de l'organisation administrative douaisienne. M.Mestayer  et G.Espinas  nous expliquent son fonctionnement :" Les échevins  sortant désignent quatre électeurs, un par escroëtte (quartier), ceux-ci choisissent quatre échevins qui en désignent quatre autres, ces derniers en désignant à nouveau quatre. Ces douze échevins se réunissent pour désigner les quatre derniers pris parmi les bourgeois de Douayeul. L'échevinage est renouvelé tous les treize mois". Cependant, il faut noter qu'il y a eu une légère évolution dans le renouvellement de chaque échevinage. Pour la période 1410-1420, les comptes nous indiquent que les échevins sortant ne nomment pas quatre électeurs, mais neuf, élus par la loi pour désigner le nouvel échevinage et le collège des six hommes. Ces électeurs, payés par la ville (pour chaque élection, la ville donne 4 £), sont généralement d'anciens échevins. L'exemple de Jaque d'Arras est très significatif. Echevin entre 1414 et 1415, il fait parti du groupe des neuf  électeurs en février 1417. A la tête du nouvel échevinage, il peut donc choisir des hommes proches de son entourage. On remarque ainsi la présence de véritables dynasties familiales : les Boinebroque, les Du Buisson,...se partagent régulièrement le pouvoir, à intervalle régulier (CF Derville : le renouvellement de Douai). Nous sommes donc en présence d'un système compartimenté, cloisonné, où seules les grandes familles bourgeoises peuvent prétendre gouverner la ville. Une fois élus, les échevins doivent prêter serments au prince ou à l'un de ses représentants, qui est généralement le souverain bailli des châtellenies de Lille, de Douai et d'Orchies. En effet, "le prince est le seul à nommer les échevins ". Ces derniers ont un pouvoir législatif mais aussi économique et financier. "Ils faisaient, modifiaient, renouvelaient, annulaient les règlements ". Ils gèrent aussi les biens de la ville (maisons, rivière), organisent la perception des revenus et décident des dépenses.

Sur le plan juridique, les habitants de Douai sont divisés en trois catégories : les forains, les manants et les bourgeois. Les forains sont des étrangers de passage. Généralement, ils viennent faire du commerce avec les marchands douaisiens. Les manants ont un statut particulier. Résidant à Douai depuis un an et un jour, ils paient les aides et la taille. Par contre, ils ne disposent pas des avantages de la bourgeoisie, n'ayant pas acheté le droit d’entrée. Quant aux bourgeois, ils sont membres de la commune. Ils ont obtenu ce statut soit par naissance, soit en achetant le droit de bourgeoisie. La commune semble donc bien structurée, chaque catégorie sociale jouant pleinement son rôle.

Très vite, la ville de Douai va chercher à accroître ses pouvoirs, mais se heurte aux autres pouvoirs, tant féodaux que religieux. Comme l'explique D.Clauzel pour Lille : "Parce qu'elle n'a pas créé la ville, la commune ne la contrôle pas tout entière ". Le comte, avant l'apparition de la commune, avait concédé des terres à l'intérieur de l'enceinte à des institutions religieuses. A Douai, deux collégiales se disputent la première place : Saint-Amé et Saint-Pierre. L'exemple de Saint-Amé permet de justifier notre propos : "elle était exempte de la juridiction laïque ordinaire. Elle avait le droit de haute, moyenne et basse justice sur ses vassaux et sur ses biens. Ses biens étaient considérables dans toute la région du Nord. De nombreux procès eurent lieu avec la ville en raison des exemptions d'impôts et des abus qui en résultèrent ". Ainsi, de 1403 à 1415, les échevins de Douai engagent un procès contre le chapitre de Saint-Amé au sujet d'un impôt sur le vin que les chanoines refusaient de payer et qu'ils fraudaient en vendant du vin de leur cave aux bourgeois non exempts. Même si la ville a perdu son procès, le chapitre n'a pas eu le droit de vendre son vin aux bourgeois .
Dans une autre mesure, la ville tente de s'opposer au pouvoir seigneurial, représenté par le châtelain . A l'origine, il exerçait sur la châtellenie son pouvoir de commandement, de police et de justice. Officier comtal, il logeait dans la Viese tour. Mais, très vite, la ville va chercher par tous les moyens à contenir ses pouvoirs. Ainsi en 1410 la ville, avec l'accord du duc, s'approprie les pouvoirs du châtelain en achetant le "pourffit de la riviere de Vitry :

"Pour le pourffit de la riviere de Vittry acquis en temps naghaires passes aveuc le mairie, terres, rentes, revenus et seigneuries dudit Vittry a Madame Mehaut de le Vigne chastelaine de Douay tenue en eschevinage dudit Vittry de reverend pere en dieu monseigneur levesque darras le dit acat fait pour la ville par la lissence de nos tres redoutes seigneurs monseigneurs le duc de Bourgogne comte de     Flandre  a jouir par icelle ville de la dite riviere et de la pesquerie depuis le darrain jour de janvier mil IIIIc et dix... "

Il ne faut pourtant pas surestimer les pouvoirs du châtelain. Celui-ci a en effet perdu la plupart de ses pouvoirs au profit du Bailli. Monseigneur de Saint-Ligier, bailli de Douai, veille au bon fonctionnement des institutions douaisiennes, arrête les criminels à la demande des échevins ou sur sa propre initiative et joue le rôle d'accusateur public devant le tribunal échevinal; il perçoit les amendes et assiste aux exécutions. Ainsi, en mars 1417, monseigneur de Saint-Ligier assiste à l'exécution d'un nommé Parlicamp pour fait de larcin . Il dirige aussi avec les échevins la police communale. Un lieutenant l'assiste dans ces diverses taches. Le châtelain n'a donc plus que des pouvoirs restreints. Comme à Lille, "La ville n'entretient plus avec eux que des relations épisodiques de bon voisinage ."

Une "Bonne ville", c'est aussi une ville entourée de remparts. Dans un contexte politique difficile, une "Bonne ville" doit être capable de se défendre . Après la bataille d'Azincourt (25 octobre 1415), les anglais ravagent les campagnes. Le duc, prévoyant une attaque des armagnacs accompagnés des anglais, a demandé dès 1414 l'aide de nombreux seigneurs venant de Bourgogne. Cet afflux de gens d'armes à la périphérie de la ville pose à celle-ci de nombreux problèmes. La municipalité devait assurer la logistique et payer les soldats. Quand elle ne pouvait pas payer, les gens d'armes rançonnaient les bourgeois ou pillaient les campagnes à la périphérie de la ville. De véritables bandes armées sillonnaient les campagnes à la recherche d'un quelconque butin. Ils pillaient, brûlaient les maisons, voire les moulins. Le moulin de Vitry fut gravement endommagé à la suite d'une attaque de soldats bourguignons . Face à une telle situation, les paysans quittent leur village pour venir se réfugier à l'intérieur de l'enceinte. Lorsque Waghe Boinebroque part à Arras en janvier 1415 pour avoir quelques conseils auprès des autorités arrageoises pour la construction de la troisième enceinte, il se fait accompagner d'un sergent et de deux gens d'armes. Les alentours de Douai étaient devenus totalement infréquentables. La cohabitation entre les douaisiens et les gens d'armes fut donc houleuse. Pour tenter de trouver une solution à ce problème, la ville envoie maître Gille de Neuville à Hesdin afin de signaler au duc que son armée endommage la ville ainsi que la campagne environnante. Cependant, la principale préoccupation des douaisiens étaient l'arrivée imminente de l'armée anglaise. La ville envoyait régulièrement des messagers à Hesdin et à Saint-Omer pour connaître la position exacte de l'armée anglaise.


A la demande du duc, Douai doit renforcer son enceinte. Des travaux sont effectués aux différentes portes et sur les ponts. C'est à la même époque que la ville met en chantier la construction de la troisième enceinte, mobilisant ainsi pendant plusieurs mois différents corps de métiers. Afin de préparer une éventuelle attaque armagnaque et anglaise, on installe aux différentes portes plusieurs canons, on stocke les mèches, on remet en état les arcs et on augmente le nombre de guetteurs. La présence de l'armée anglaise dans la région inquiète la commune, qui met en place rapidement un dispositif de défense. La ville joue donc pleinement son rôle de "Bonne ville" puisqu'elle est capable d'assurer seule sa défense, même si l'armée bourguignonne est chargée de la défendre; elle dispose d'une infrastructure administrative solide qui lui permet de jouer un rôle politique non négligeable; enfin, elle dispose d'une administration financière stable.




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Septante”, cette traduction fut réalisée par 72 savants(fermaton.over-blog.com)
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